Livret de « Fernand »
Scène lyrique
à trois voix
Fernand, basse-taille
Zelmire, soprano
Alamir, ténor
Introduction et récitatif
Fernand
La nuit a déployé ses voiles sur Grenade, et sur
ses remparts
déjà tombe de toutes parts l'obscure clarté
des étoiles.
Nuit glorieuse et que doit effacer un jour plus glorieux encore.
Demain, quand renaîtra l'aurore, entre nos mains Grenade
va tomber.
Et moi, prenant demain ma part de la conquête,
J'enlèverai Zelmire aux enfants du prophète, et
Zelmire m'appartiendra.
On approche. Ce sont nos compagnons fidèles qui, perçant
de la nuit le silence jaloux, sur ces remparts veillent autour
de nous.
Sentinelles, sentinelles, prenez garde à vous!
(il s'éloigne)
Scène 2
Zelmire
Je n'entends plus de bruit, cette secrète issue, des Espagnols
encore inaperçue, va nous ouvrir un passage assuré.
Alamir
Fuir dans la nuit et fuir déshonoré, non ce n'est
point ainsi qu'on défend ce qu'on aime. J'aurais honte
pour toi de te cacher aux yeux, j'en aurais honte pour moi-même.
Dieu nous fit les dangers pour être glorieux.
Zelmire
Dieu fit l'amour pour dompter le courage. Laisse-moi te sauver!
Tu pourras, si tu veux, en accuser après ma faiblesse
ou mon âge!
L'amour accepte tout quand il est malheureux.
Duo (Allegro)
Alamir
Non, Zelmire, non, un Abençerage ne peut fuir devant le
trépas.
Zelmire
Ce n'est pas toi qui fuis.
Hélas! ton cimeterre et ton courage, ami, ne nous sauveraient
pas.
Alamir
Je dois mourir avec mes frères.
Zelmire
Tu jurais de vivre pour moi.
Alamir
Infidèle au nom de mes pères, toi-même rougirais
de moi.
Grenade chérie, ma douce patrie, si tu dois périr,
nous devons te suivre et non te survivre.
La honte est de vivre et l'honneur de mourir.
Zelmire
Quoi! Zelmire encore vainement t'implore sans rien obtenir!
Consens à me suivre, que je te délivre, mon noble
Alamir,
promets-moi de vivre ou laisse-moi mourir. Ne le veux-tu pas
?
Alamir
Ah le Ciel m'est garant que pour te délivrer, ma Zelmire
chérie,
je te donnerais mes trésors et mon rang et les beautés
de l'Ibérie
et l'honneur qu'autrefois j'ai payé de mon sang, tout,
enfin tout,
Zelmire, excepté ma patrie. Elle est la tienne aussi.
Zelmire
Je l'oublierai pourtant.
Ensemble
Alamir
Grenade chérie, ma douce patrie, si tu dois périr,
nous devons te suivre et non te survivre.
Si tu dois périr la honte est de vivre, l'honneur de mourir.
Zelmire
Quoi! Zelmire encore vainement t'implore sans rien obtenir,
Consens à me suivre, que je te délivre mon noble
Alamir.
Promets-moi de vivre ou laisse-moi mourir.
(on entend derrière la scène une marche de guerre)
Scène 3
Fernand
Veillez soldats et veillez bien, faites votre ronde en silence.
La nuit s'avance, tâchez que rien n'échappe à
votre vigilance.
Vive le Roi! Vive le Roi, Notre Dame et la foi.
Et nos combats et nos hasards ont signalé quelque vaillance.
De la constance et ces remparts nous vaudront un beau coup de
lance.
Vive le Roi, vive le Roi, Notre Dame et la foi.
Alamir
Quel est ce bruit ?
Zelmire
De la prudence
Alamir
Que crains-tu ?
Zelmire
Cette voix....
Alamir
Tu la connais?
Zelmire
C'est lui! C'est Fernand!
Alamir
Fernand !!
Zelmire
Aujourd'hui s'accomplit donc la céleste vengeance.
Allegro agitato
Zelmire
Grands dieux, hélas!
Alamir
Un Espagnol!
Fernand
Que vois-je! Zelmire! Ah! Venais-tu me chercher en ces lieux?
Quel est cet infidèle dont l'aspect seul m'est odieux
?
Zelmire
Ah, je suis seule criminelle, lui ne l'est pas, il n'est que
malheureux.
Trio (Andante)
Zelmire
Sauve Alamir, sois digne de toi-même, c'est ton rival,
il n'a d'appui que toi.
Et puis, s'il le faut, punis-moi, tu le dois hélas, car
je l'aime.
J'ai trahi ta foi. Sauve Alamir, sois digne de toi-même,
Fernand, j'en appelle à toi.
Alamir
Non, je ne veux ni prière ni grâce car je te hais
et tu dois me haïr.
Eloigne-toi, prends ce fer, fais-moi place et l'un de nous deux
va mourir.
Zelmire
Que dit-il?
Fernand
Malheureux! Vous m'osez méconnaitre,
vous m'implorez et blessez à la fois
mon amour, mon honneur, ma vengeance et mes droits.
(à Alamir)
Tu parles de combattre et le voudrais peut-être,
mais n'entends-tu pas mes soldats, mais n'es-tu pas captif ?
Mais quand le jour va naître
pourrais-je seulement t'arracher à leurs bras ?
(à Zelmire)
Tu veux que je le sauve, enfant, tu ne sais pas que Ferdinand,
notre inflexible maître, a promulgué ses lois et
promet au trépas
tout Espagnol compatissant ou traître
qui d'un seul fugitif protégerait les pas.
La mort sera votre partage,
la mort serait le mien si je vous pardonnais.
Alamir
Ah je te croyais du courage.
Fernand
Misérable!
Zelmire
Fernand !
Fernand
Dis, toi qui me connais, dis si j'ai mérité cet
outrage.
Zelmire, en de plus doux moments j'avais juré de veiller
sur ta vie.
Zelmire
Vous avez tenu vos serments.
Fernand
Ah! ta bouche au moins me justifie.
Alamir
Cruel! dispose de ma vie, mais n'aggrave pas ses tourments!
Fernand
Ma tâche n'est donc pas remplie! Mon Dieu vous me punissez
bien.
Zelmire
Mon Dieu, soyez notre soutien.
Fernand
Tu l'aimes donc ?
Zelmire
Hélas! je te l'ai dit.
Fernand
Zelmire, tu l'aimes donc
Zelmire
Pour lui seul je respire.
Fernand
Et s'il mourrait ?
Zelmire
Je mourrais avec lui.
Alamir
Zelmire! Oh! Ciel!
Fernand
Elle a pu me le dire. Ah! mon destin s'accomplit aujourd'hui.
Ainsi donc si j'appelle il faut qu'Alamir meure!
Si je vous laisse fuir, c'est moi qui périrai.
Alamir
Appelle tes soldats.
Fernand
Nous n'avons plus qu'une heure...
(à Zelmire) Si tu m'aimais encore!
Zelmire
Ah! Fernand!
Fernand
Elle pleure.
(à part) Eh bien donc, c'est moi qui mourrai!
Trio (Presto, puis piu lento)
Fernand
La route est ouverte, la plaine est déserte, fuyez,
hâtez-vous avant que l'aurore ne réveille encore
les regards jaloux.
Alamir
La route est ouverte la plaine est déserte, fuyons,
et Zelmire hâtons-nous avant que l'aurore ne réveille
encore les regards jaloux.
Fernand
Allez, et soyez sans effroi, soyez heureux comme on l'est quand
on s'aime.
Alamir
Vas-tu braver ton roi, sa justice suprême et sa sanglante
loi. Que fais-tu !
Fernand
Tu vas voir! (il tire son épée)
Zelmire
Dieu tout puissant !
Fernand
Écoute! Obligé de trahir ou mon devoir ou toi,
Je ne t'ai pas montré de doute.
J'ai trahi mon devoir et j'ai trompé mon Roi.
Je les venge tous deux. Allez, oubliez-moi!
Trio (Andante)
Zelmire
Dieu qui lit dans les coeurs, exauce nos douleurs, accorde-moi
sa vie. Fais qu'un jour il oublie ma faute et son malheur. Ah!
Permets que je l'expie et rends-lui du bonheur.
Alamir
Dieu qui lit dans les coeurs, exauce ses douleurs puisque Fernand
l'adore.
Ô mon Dieu, je t'implore, sauve-le, pour qu'un jour je
lui dispute encore Zelmire et son amour.
Fernand
(en éteignant la voix) Dieu qui lit dans les coeurs, daigne
épancher sur elle pour prix de mes douleurs ta bonté
paternelle, réserve-lui toujours un bonheur digne d'elle
et de nobles amours.
(d'une voix presque éteinte) Fuyez, hâtez-vous!
Zelmire
Ah!
Alamir
Ah!
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